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Rambalh, c'est un pot pourri de mes lectures, un blog pour partager mes coups de coeur et de gueule. Rambalh signifie Bordel en Occitan et c'est un peu le cas de ce blog. Il est surtout né de mon besoin de garder une trace de mes lectures. Retrouvez-moi aussi sur Accros & Mordus de Lecture.

jeudi 22 mars 2018

Ida, suivi de La comédie bourgeoise d'Irène Némirovsky

Dans un précédent article, je vous parlais de la Glory Book Box sur le thème des fabuleuses années 20. Ida est l'un des livres qu'il y avait dedans et que j'ai lu. J'ai pu découvrir grâce à cette box une autrice à la plume magique et qui était engagée dans son art pour la cause des femmes qu'elle décrit sous deux angles différents avec ces deux nouvelles. Je vous conseille vivement de vous pencher sur des autrices, de vous intéresser à ce qu'elles ont à dire sur nous, les femmes : le féminisme à travers le temps c'est aussi lire les mots de ces femmes qui se sont battues pour se faire entendre. Lisez des femmes, surtout en ce mois de mars, surtout en cette période où on cherche encore à nous museler lorsqu'on réclame les mêmes droits que les hommes.



Quatrième de Couverture
Les paillettes, les plumes et les strass, les bouquets de fleurs, les hommes fous d'amour, l'ivresse des applaudissements... tel est le quotidien de la belle Ida Sconin, célèbre meneuse de revue parisienne. Mais le temps passe impitoyablement et il devient de plus en plus difficile de faire illusion.

L’auteur de l’inoubliable Suite française nous offre deux nouvelles d’une douloureuse lucidité, deux destins de femmes cruels et intimistes.

Ces nouvelles sont extraites de Films parlés (1934).

Mon avis
Irène Némirovsky a écrit et vécu à une époque où la place de la femme était encore bien définie par la société à la maison. Elle a fait partie de ces femmes qui montraient à travers leurs écrits l’oppression subie par notre genre. Ses héroïnes montrent qu’elles vont au-delà de ce qu’on attend d’elle, ce qu’on suppose, que l’utérus obtenu à la conception n’est pas un frein à l’accomplissement d’une vie. Mais Irène Némirovsky a aussi subi l’antisémitisme et, après qu’on lui ait refusé la nationalité française en 1938, elle doit comme beaucoup faire profil bas pendant la guerre. Seulement, elle est arrêtée, déportée et meurt à Auschwitz, laissant derrière elle des écrits qui permettent de faire vivre sa mémoire.

Ida

Ida est une meneuse de revue qui garde la tête d’affiche à un âge où les autres artistes ont été reléguées au dernier plan depuis longtemps. Craignant de perdre la lumière qui la fait vivre, elle se donne encore et encore pour garder son trône malgré les rides camouflées sous la poudre et son corps qu’elle a épuisé au fil des ans. Elle est au sommet, a tout sacrifié pour cette place et, pourtant, elle doit sans cesse faire ses preuves. Encore et encore, montrer au monde qu’elle est la meilleure. Ce monde qui admire sa ténacité tout en lui renvoyant au visage chaque soir que sa date de péremption est proche, qu’au moindre faux pas, ce sera la fin.

Ida, même au sommet, doit encore tout prouver. Chaque jour est un nouvel examen final, chaque tableau est un test. Une femme, lorsqu’elle a accompli de grandes choses, lorsqu’elle brille, ne doit jamais baisser sa garde et prouver qu’elle mérite toujours sa place. Encore et encore. Ida est forte, elle est consciente de ce qui l’a menée jusqu’ici et elle sait qu’elle est la meilleure. Seulement, c’est toujours à travers le regard des autres qu’elle se sent vivante : le spectacle ne vit que par l’approbation du spectateur. Mais c’est toute sa vie qui tient à ce fil, cette vie qu’elle a consacré à sa carrière. Le moindre jugement, dans le regard des hommes mais aussi celui des femmes est un coup de poignard. Malgré sa force et son talent, c’est dans le regard de l’autre qu’elle cherche la reconnaissance, qu’elle s’accroche à une gloire qui est éphémère malgré la longévité déroutante de sa carrière.

À travers cette nouvelle, Irène Némirovsky rappelle inlassablement, dans un rythme lent et lascif, que quoi que fasse Ida, elle dépend du regard des autres, de leur jugement. En tant que femme, son corps qui est son outil de travail ne lui appartient pas vraiment et est voué à dépérir. Ce corps qui a été son meilleur allié devient son pire ennemi en flanchant. Elle est sa propre ennemie, elle lutte contre les effets du temps parce que c’est ainsi qu’on traite les femmes : l’âge arrive, la beauté juvénile appréciée et validée par les autres n’est plus, puis l’âme se fane.

« Elle se sent triste. Car elle a beau farder son visage, taillader ses seins et ses joues, masser son front, effacer tous les jours les rides, qui, toutes les nuits, inlassablement, se reforment, elle ne peut s'empêcher que son âme, par moment, s'essouffle et se fatigue plus vite que son corps. »

La comédie bourgeoise

Madeleine est une jeune fille de bonne famille, vouée à épouser un homme qui prendra la suite de son père à l’usine. Ses parents choisissent son époux, qu’elle apprend à connaître. Mais Henri a déjà une maîtresse, qui assure avoir un enfant de lui. Le scandale passe, le mariage a lieu et Madeleine s’accorde parfaitement dans sa petite vie bourgeoise, avec son mari, puis leurs deux enfants ensuite. Madeleine n’est pas heureuse mais elle affronte la vie, elle se plie au rôle qu’on lui a confié, malgré les aventures de son mari, les épreuves. Elle se prend un jour à vivre une passion éphémère avec un ami, une passion qui la fait se sentir vivante, qui lui rappelle qu’elle est une personne à part entière. Mais cela doit s’arrêter, comme tout ce qui n’entre pas dans le moule conçu pour une parfaite femme.

En apparence, Madeleine est passive, résiliente. Mais, au fond, c’est sa force qui nous touche, sa façon d’accepter ce qu’on attend d’elle, de se laisser briser peu à peu sans jamais baisser la tête. Jusqu’au jour de la libération, quand elle retrouve enfin sa liberté et laisse sa nature profonde éclater au grand jour : elle a fait ce qui était attendu jusqu’au bout sans jamais perdre l’essence même de son être, un être façonné au fil du temps. Et quand vient l’heure où elle n’a plus ces obligations imprimées dans sa chair, elle s’impose et surprend autant son entourage que les lecteurs.

À travers un rythme rapide et lent à la fois, Irène Némirovsky montre à nouveau le poids qui pèse sur les épaules d’une femme, la charge qu’elle doit supporter encore et encore jusqu’au jour où elle peut enfin s’en délester et s’imposer. Comme toujours, cela passe par la fin du joug de l’homme sur la femme, rappelant une fois encore qu’être une femme est un parcours du combattant et qu’il faut une force incroyable pour ne pas se laisser briser par la vie.

« - (...) Tout ton portrait, Madeleine, à cet âge-là. Oh, c'est dégoûtant, vois-tu, comme la vie est courte !
- Elle est bien assez longue, dit Madeleine, mais c'est la jeunesse qui passe vite.
»

Ces deux nouvelles sont un hommage rendu aux femmes, ces femmes qui écrasées par la société patriarcale de l’époque peine à sortir de la place qui leur est imposée. Ces femmes qui sont un objet de décoration parmi tant d’autres dans une maison, dont on attend une attitude parfaite, une harmonie sans faille avec le moule qu’on leur impose. Ces femmes qui doivent être plus fortes que les hommes pour supporter l’oppression tout en ne se laissant pas détruire par ces carcans qui cherchent à les museler sans relâche. Quelle que soit la classe sociale à laquelle appartient une femme, elle doit combattre sans cesse pour ne pas se perdre dans l’image qu’on lui demande de renvoyer.

Poignante, l’écriture d’Irène Némirovsky nous transporte et nous aide à nous fondre dans la vie de ces femmes qui luttent inlassablement contre les autres mais aussi contre elles-mêmes.

Les avis des Accros & Mordus de Lecture

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